Entretien de Miguel Angulo dans la revue Pirineos, (en français)

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Entretien accordé à Javi Pascual, publié dans la revue « El Mundo de los Pirineos » en décembre 2019 et traduit ici en français.

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1980, Dans les Dolomites de Brenta

De père et grand-père paraguayens qui durent quitter l’Espagne pour la France depuis Madrid, où le grand père était consul du Paraguay, et de mère française, Miguel Angulo (1953) est un des auteurs pyrénéistes parmi les plus renommés.
Son oeuvre la plus marquante Pyrénées 1.000 ascensions, publiée par les éditions Elkar en six volumes, de grand format, marque une date importante dans la bibliographie de montagne avec plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires vendus et de nombreuses rééditions. La Montagne Basque fut elle aussi un succès dans le monde du montañisme basque, ainsi que Sites Secrets et Sentiers Méconnus.1986-Anboto Ezkillar-00894-dzbWM

Anboto, Ojo del Eskillar, image choisie pour la couverture de Sites Secrets

Plus tard il commença une carrière de cartographe pour les éditions SUA de Bilbao avec les collections des Cahiers Pyrénéens et des Cartes Pyrénéennes entre autres publications .


Après plus de quarante années dédiées à la divulgation du montañisme, ce pyrénéiste s’est converti en voyageur infatigable et chercheur de rêves dans les terres lointaines, à pied, à vélo (pliable), et en kayak (pliable). Malgré tout, il ne se considère pas comme un sage. Pour moi qui l’ai accompagné pendant plus de 30 ans j’affirme qu’il faut avoir une certaine sagesse pour avoir cette humilité qui se dégage de lui au fil de la conversation.
Avec son infatigable compagne Thérèse, de mère vietnamienne, et de père français, qu’il connait depuis l’âge de 17 ans, il a créé une équipe de travail qui a perduré tout ce temps, avec parfois la participation de leurs trois enfants.

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Maintenant, son cœur est partagé entre sa terre natale, le Vietnam et le Paraguay où ils ont encore une grande famille. Il se plait à découvrir, une grande partie de l’année, de nouvelles montagnes et de grands espaces encore préservés des ravages de l’industrie touristique, partageant une partie de ses expériences sur son site Web.

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Dam Mon (Mer de Chine) bivouac avec nos kayaks pliables


Quel est ton souvenir le plus ancien en relation avec la montagne ?

Mon père Juan sans aucun doute. Il pratiquait la randonnée en montagne sous l’occupation allemande avec son ami le guide Louis Thiard. Il me racontait comment ils allaient gravir l’Iparla et l’Artzamendi malgré la présence des gardes autrichiens, en prenant le train de Bayonne à Itxassou.

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Jean Benjamin Angulo en 1941

A 14 ans j’ai commencé à faire beaucoup de vélo et j’adorais grimper les cols du Pays Basque. Et, certaines fois, arrivé au pied d’une montagne, je cachais mon vélo dans les fougères et je grimpais à pied jusqu’à la crête. Ainsi ma première ascension fut celle de l’Ursuia (au dessus d’Hasparren).

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Mont Ursuia, versant sud

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1975, Miguel Angulo au Pic d’Anie

Et soudain tu te mets à écrire des livres ?

Et oui ! à 15 ans j’ai découvert dans la bibliothèque familiale le Guide des Pyrénées Basques de J. De Fos du Rau. Il datait de 1953 et, 20 ans après, la montagne basque avait déjà beaucoup changé. Je constatais au fur et à mesure de mes ascensions que les descriptions étaient pour la plupart obsolètes. Je me suis mis à 16 ans à prendre des notes sur le terrain pour corriger le guide. Un de mes professeurs du lycée m’a invité à publier mes notes dans une revue du Musée Basque de Bayonne et, voyant le succès de mes articles je me suis décidé à les éditer à compte d’auteur. L’imprimeur Marrimpouey de Pau, qui publiait les guides Ollivier des Pyrénées, m’a proposé d’imprimer ma version du guide des Pyrénées Basques en 1977 et, comme je ne disposais pas de revenus suffisants, il m’a permis de ne le payer qu’une fois les exemplaires vendus. Ce petit livre blanc a depuis été réédité maintes fois, pendant près d’un demi-siècle…

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Première édition du Guide des Pyrénées Basques à compte d’auteur (1977)

Les maisons d’éditions Elkar, puis, quelques années plus tard SUA me contactèrent pour mener à bien de nombreux projets.

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Miguel et Luis Pedro Peña Santiago en 1990 pour la sortie du livre « Irati »

Un autre livre, de grand format cette fois, La Montagne Basque fut un grand succès. Comment en es tu venu à bout en étant exilé en Alsace pour ton métier de professeur ?

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Première édition de la Montagne Basque en 1982

En 1982 Elkar m’a demandé d’écrire un livre qui couvrirait les montagnes des sept provinces basques. Je connaissais à peine la Bizcaye et le Guipuzcoa, mais grâce à la nouvelle autoroute de Bilbao, il m’était possible, pendant les vacances, de réaliser de nombreuses ascensions en m’inspirant de quelques rares écrits de montagnards passionnés parmi lesquels Luis Pedro Peña Santiago qui deviendra ensuite mon ami.


Tu as écrit une des œuvres les plus importantes sur les Pyrénées et de plus en quatre langues : Pyrénées 1000 ascensions.

Jose Mari Sors des éditions Elkar m’ a proposé de faire une compilation en grand format et en 4 langues, de toutes les voies normales des montagnes de la chaîne pyrénéenne. J’ai longuement étudié la question et à la suite de ma nomination en poste à Saint Martin de Seignanx, près de Bayonne, je me suis lancé.
Comme je ne connaissais que la moitié ouest des Pyrénées jusqu’à Gavarnie j’ai décidé de diviser le travail en 6 tomes publiés tous les deux ans afin de me laisser le temps de faire mes prospections jusqu’au Cap de Creus.

Ce furent 15 années de prospection, dont 12 de publication, entre 1990 et 2002, qui m’occupèrent à plein temps (sans compter mon travail de professeur…).

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Troisième tome des 1000 ascensions, en version basque


Comment t’organisais tu pour mener à bien un travail d’une telle envergure ?

Je dois d’abord rendre hommage à ma compagne qui m’a aidé formidablement.
J’avais par ailleurs mis au point un système pour faciliter mes prospections et prendre à coup sûr de belles photos.
Équipé d’une micro-tente et d’un matériel très léger, je partais le vendredi soir. Je faisais à la frontale la moitié de l’ascension afin de bivouaquer à un endroit judicieux à peu de distance des crêtes. J’atteignais ainsi le sommet de très bonne heure, ou même au lever de soleil pour réussir quelques bonnes photos.

Les voies normales je les parcourais seul la plupart du temps, mais pour les voies alternatives je pouvais compter sur quelques compagnons solides et expérimentés (notamment pour le Pic du Midi d’Ossau).

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Miguel, bivouac au Vignemale en 1994


Je sais que tu es passionné de photographie…

Oui, j’ai commencé très jeune, car j’ai été chargé par l’architecte en chef des monuments historiques de réaliser l’inventaire photographique exhaustif des 900 maisons du Vieux Bayonne, en vue de son inscription en tant que Secteur Sauvegardé. C’était un travail énorme d’autant que j’avais l’obligation de réussir tous mes clichés malgré les difficultés de perspective et d’éclairage dans les ruelles étroites. Mais je disposais d’un excellent matériel fourni par l’architecte.

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Miguel en 1975 avec un appareil Linhoff 6×9, avec objectif à décentrement pour corriger la perspective

On te connait aussi comme spécialiste de la cartographie des Pyrénées. Comment en es tu venu à te spécialiser dans cette discipline ?


Dés mon jeune âge, au collège, j’aimais dessiner à la plume (avec une pointe bic en fait) et je m’amusais à dessiner des cartes des alentours de la maison familiale. A 16 ans j’ai découvert les nouvelles cartes IGN au 1:25.000e. J’adorais regarder la forme des montagnes avec les courbes de niveau si précises et petit à petit j’ai affiné ma technique de cartographie à la plume.
En me consacrant à la randonnée j’ai constaté que les cartes du côté espagnol étaient médiocres, voir même bourrées d’erreurs. Je me souviens que sur la carte de l’IGC le Pic Larraona à côté du Txindoki avait été oublié ainsi que le vallon intermédiaire. Quand sont apparus sur le marché les ordinateurs MacIntosh ça a été pour moi une véritable révolution et je me suis mis à dessiner mes cartes directement à la palette graphique.

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Miguel avec ses deux Macintosh en 1992

Dans les années 90 on ne pouvait travailler que sur des cartes de petite dimension mais maintenant les ordinateurs gèrent des images ultra détaillées de plus de un mètre de long.


Beaucoup d’endroits que tu décris dans tes ouvrages sont devenus maintenant, quarante ans après, des lieux de concentrations de visiteurs avec même par endroits des parkings payants…

On ne peut plus, de nos jours, publier comme nous le faisions il y a quarante ans.
Je connais pas mal d’endroits incroyables que je n’ai pas l’intention de partager, pas du moins tel que je le faisais dans les années 80.

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Miguel et son plus jeune frère Jean Christophe explorant les Bardenas en 1980, bien avant l’invasion des VTT.

Dans tous les pays maintenant les gens visitent en masse les sites, même fragiles, et ça devient un réel problème. D’un autre côté, si les visites se concentrent sur certains sites très connus ça laisse le champ libre pour nous balader dans des endroits encore bien préservés, loin de la foule.

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Miguel au Cambodge, sur son vélo pliant de voyage (Dahon Helios, 10,5 kg)

On ne peut pas non plus empêcher les gens d’entrer en contact avec la nature. C’est un désir profond qui n’est pas critiquable.


Tu commences maintenant à transmettre à tes petits enfants la passion de la montagne et de la nature. Quels conseils donnerais tu aux jeunes qui veulent foncer en brûlant les étapes ?

En fait je ne sais pas quoi vraiment dire, sauf que la montagne n’est pas qu’un terrain de jeu mais quelque chose de plus grand et de plus sérieux. Je comprends la passion de certains pour gravir des 4000 ou des 8000 toujours plus vite, toujours plus difficile, mais je n’ai de toutes façons pas cette aptitude physique. J’ai toujours préféré la montagne à échelle humaine, avec ses vieux chemins, ses bordes isolées, ses gens simples et les traces d’une occupation millénaire. J’ai toujours aimé marcher lentement, à l’écoute de la nature, attendre la bonne lumière ou dessiner quelques profils de crêtes.

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Tu as quelques rêves inaccomplis ?

J’en ai plusieurs évidemment ! Je pense plus particulièrement à des aiguilles que j’ai eu du mal à localiser dans le nord du Vietnam (les cartes sont mauvaises…). Elles se dressent à 3000 mètres d’altitude et sont appelées Ngu Chi Son, les cinq doigts de la main. Leur accès est rendu très difficile en raison de la végétation tropicale humide qui couvre des versants extrêmement raides (sans compter les serpents et les araignées…). Il faudra quand même que j’aille voir ça de plus près !

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Ngu Chi Son, les cinq doigts de la main (Vietnam nord)

 


Que représente pour toi le Pyrénéisme ?

Dans les années soixante, quand j’ai commencé à m’intéresser à la montagne l’esprit des pratiquants était différent de maintenant. L’accès par les routes était difficile et nos voitures de l’époque peu adaptées, ce qui fait que réussir à atteindre simplement le sommet d’une montagne nous apportait une grande satisfaction. Il n’y avait pas encore de surenchère sportive (en tout cas pas aussi répandue que de nos jours). Ma pratique était finalement assez sérieuse et je me désole de croiser maintenant des dizaines de marcheurs, bizarrement chaussés, et bizarrement vêtus, qui ne comprennent rien à rien et foncent, foncent, foncent …


Qu’as tu appris des Pyrénées ?

En vivant au Pays Basque depuis tout petit j’étais accoutumé à voir nos jolies montagnes du Labourd, surtout les jours de vent du sud quand elles semblent si proches.

L’envie d’y aller voir était irrésistible pour le petit explorateur en herbe que j’étais. Je prenais mon vélo et, en cachette de mes parents, je pédalais jusqu’à Mendionde, Urcuray ou Itxassou et j’en revenais émerveillé par tant de beauté. La montagne était pour moi un lieu magique, un espace de liberté totale. Petit à petit, avec mes frères plus âgés nous avons étendu notre espace de prospection, avec toujours le même enthousiasme.

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1972, mes deux grands frères au Vignemale, par une météo franchement désagréable !

Plus tard au hasard de mes nominations de professeur, j’ai découvert d’autres massifs montagneux, les Ardennes, les Vosges, le Jura, le Schwartz Wald, les Alpes suisses et autrichiennes, les Dolomites sans jamais oublier nos chères Pyrénées. Je retiens l’incroyable diversité de paysage des Pyrénées qui nous permettent de passer d’un climat à l’autre, d’un environnement à l’autre, en peu de kilomètres. La découverte des autres massifs montagneux m’a permis d’aiguiser mon sens critique (les Dolomites surtout) et d’apprécier, avec raison, toute la beauté de la Chaîne Pyrénéenne.


lien vers les Archives photos des Pyrénées de Miguel Angulo – 1 (nouveaux scans de clichés argentiques)

lien vers les Archives photos des Pyrénées de Miguel Angulo – 2 (versant nord)

lien vers les Archives photos des Pyrénées de Miguel Angulo – 3 (versant sud)


Une réflexion au sujet de « Entretien de Miguel Angulo dans la revue Pirineos, (en français) »

  1. Bonjour Miguel,
    C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai lu cette interview et aussi admiré tes superbes photos. Les photos les plus anciennes m’ont rappelé notre rencontre en Alsace et le partage de nos passions communes, la randonnée et la photo que tu as menées à leur plus haut niveau ! L’interview met d’ailleurs bien en valeur cette exigence du travail bien fait qui te caractérise, bravo.
    Au plaisir de te revoir avec Thérèse en Alsace et sur les sentiers vosgiens que tu avais bien appréciés à l’époque !

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